ASEQ-EHAQ

L'Association pour la santé environnementale du Québec / Environmental Health Association of Québec

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Le MCS : UN HANDICAP QUI CHANGE LA VIE

Ruth Woitowitz

L’hypersensibilité chimique multiple (MCS) est un handicap chronique débilitant touchant environ 3% des Canadiens, et ce nombre est en croissance. Mes problèmes de santé ont commencé lorsque je vivais dans un logement au sous-sol où la moisissure faisait ses ravages, à tel point que je ressentais toujours plus de symptômes asthmatiques. En 1997, alors que j’emménageais dans mon logement actuel, avec un loyer adapté à mes revenus, on m’a déclaré que la fumée de mes voisins n’entrerait PAS dans mon logement. Cependant, la construction de l’immeuble s’avérant déficiente, mon logement s’emplissait chaque jour de la fumée secondaire de cigarettes et des senteurs parfumées de produits en soins personnels, nettoyage et lessive, qui s’infiltraient à travers les murs, par le système de ventilation et de climatisation, par mes fenêtres (bien que fermées), par la buanderie et la porte du couloir. Ma toux et ma respiration sifflante se sont aggravées, provoquant chez moi des épisodes de bronchite et des infections de sinus deux à trois fois chaque année. Bien vaines furent toutes mes demandes et mes supplications auprès des divers gestionnaires de l’immeuble, mes menaces pendant plusieurs années de lancer des pétitions pour un environnement sans fumée auprès des autres locataires et même auprès du gouvernement, puisque ces gestionnaires ont toujours refusé d’interdire aux locataires et à leurs invités de fumer dans les logements ou sur les balcons. Les droits des fumeurs priment sur ceux d’entre nous qui désirent préserver leur santé. Je ressentais colère, frustration, dépression, et certains jours, j’étais la proie d’idées suicidaires.

En 2012, un fumeur résidant dans l’appartement juste au-dessous du mien, mon logement empestait comme un bar aux heures de fermeture – enfumé à tel point que j’apercevais aisément une brume dans l’air, même si deux purificateurs d’air puissants fonctionnaient à toute heure du jour et de la nuit, sept jours par semaine. Mes meubles, mes vêtements et tous mes biens SENTAIENT la fumée de cigarette, et ma santé se détériorait toujours davantage. Non seulement je toussais et souffrais d’une respiration sifflante, mon équilibre et ma mobilité diminuaient, j’éprouvais du mal à dormir, des nausées et des vertiges, je commençais à vomir et de graves crises de diarrhée survenaient chaque jour en raison de cette exposition prolongée à la fumée et aux odeurs. Ma tension artérielle se modifiait selon la nature des produits chimiques qui m’atteignaient: la lessive et d’autres produits parfumés augmentaient ma pression, la fumée de cigarette et de marijuana la faisait chuter au point que j’avais l’impression que j’allais m’évanouir.

Convaincue d’être atteinte d’hypersensibilité chimique multiple, ce n’est qu’en janvier 2017 que je recevais un tel diagnostic, car très longue fut la liste d’attente pour obtenir une consultation à la clinique de santé environnementale auprès du centre hospitalier Women’s College. Cependant, une fois le MCS diagnostiqué, il ne s’ensuit pas des traitements proprement dits, et l’on ne peut que se borner à « éviter les déclencheurs ». Il s’agit là presque d’une MISSION IMPOSSIBLE, puisque le monde entier fait usage de produits parfumés de tout acabit.

Dès que Justin Trudeau a légalisé la marijuana en 2018, mon hypersensibilité chimique multiple, devenue assez sérieuse, s’est alors transformée en véritable CAUCHEMAR. Je souffrais toujours dans mon logement de la fumée et les odeurs quotidiennes, mais l’ajout de la marijuana m’a fait tout simplement basculer. Seulement cinq minutes d’exposition à la marijuana peuvent déclencher chez moi un état « d’inertie » – où il m’est impossible de bouger, fonctionner ou parler même si je perçois tout ce qui survient autour de moi. Une situation qui me TERRORISE, car je vis seule et ne peux alors demander des secours… tant tout cela se produit si rapidement. Ce n’est qu’une fois l’air dégagé de cette marijuana que je peux enfin retrouver l’usage de mes fonctions. Et je PANIQUE véritablement toutes les fois que de la marijuana s’infiltre par mes fenêtres ou derrière les murs… craignant toujours de ne pas disposer du temps nécessaire pour parvenir à mon lit et m’allonger avant l’évanouissement. De telles expositions prolongées à des produits de lessive m’ont également fait plonger dans un état d’inconscience… comme cela s’est produit lorsque j’étais dans la salle d’attente d’une clinique, alors que le droit de recevoir des soins de santé sans odeurs n’était toujours pas protégé. Le médecin, ignorant la source de mon mal et constatant que je ne pouvais ni bouger ni parler, m’a dirigée à l’urgence… où je fus placée juste en dessous d’un distributeur de désinfectant pour les mains, provoquant chez moi de graves crises de toux. Mais je ne pouvais toujours pas parler ou fonctionner, et seulement la toux me faisait remuer. Ce n’est que lorsqu’on m’a transférée dans une chambre d’isolement libre de toute odeur que je me suis rétablie peu à peu. J’éprouve de vives COLÈRES et FRUSTRATIONS envers tous ceux qui balaient du revers de la main ces problématiques suscitées par tant de produits chimiques utilisés dans les parfums. Nul ne dirait à autrui : « C’est juste un cancer, fichez-moi la paix! » On croit que j’invente tout, que je réagis de manière excessive, que je suis « trop sensible ». Mais nul ne constate ce qui survient derrière les portes closes. Personne ne peut ressentir la terreur que j’éprouve chaque fois que j’inhale, à travers mon masque muni d’un filtre au charbon, une odeur de parfums, d’assouplissants ou de marijuana. Les médecins ne diraient pas à des patients en fauteuil roulant « faites quelques pas et vous le pouvez », mais c’est bien ce qu’ils me disent lorsqu’ils mettent en doute que les produits chimiques contenus dans les parfums puissent nuire à mes poumons, mon équilibre, ma mobilité, mes fonctions cognitives, mes fonctions cardiaques ou gastriques, et qu’ils croient que je puisse me rendre par moi-même chez le médecin, faire mes courses et mener une vie « normale ».

Bien que cet isolement derrière des portes closes me réduise à la solitude, la dépression et des sentiments de FRUSTRATION et COLÈRE, il demeure la seule alternative possible pour qui veut éviter le recours aux urgences. Je resterai dans cet état jusqu’à ce qu’un médecin puisse comprendre comment traiter mes « épisodes d’inertie » – en me plaçant dans une chambre isolée et exempte de toute odeur, de tout produit chimique, de tout désinfectant pour les mains et de tout antiseptique – puisqu’on ne peut « traiter » l’hypersensibilité chimique multiple qu’en éloignant tout produit chimique, ce qui n’est guère possible dans une chambre d’hôpital ordinaire.

Les logements abordables pour les patients à faibles revenus souffrant de MCS N’EXISTENT PAS. Je suis donc contrainte à toujours vivre dans un milieu communautaire nullement protégé des odeurs et de la fumée des voisins. Les soins de santé « en présentiel » me sont également inaccessibles, à moins de risquer et mettre en danger mon bien-être en entrant dans des bâtiments remplis par tous ces produits de blanchisserie, de soins personnels, de nettoyage et de désinfection utilisés par le personnel et les patients, et nuire ainsi à toutes mes fonctions vitales. Bien que certains établissements en soins de santé arborent des affiches « sans parfum » sur leurs murs, la majorité du personnel ou des patients ne se conforment pas à ces directives, de telle sorte qu’elles ne sont guère mises en application… et les soins de santé peuvent aisément être perçus comme un luxe chez les personnes souffrant de MCS, lorsqu’elles trouvent le courage d’entrer dans ces établissements en soins de santé. Je refuse désormais de pénétrer dans de tels établissements, car j’y ai trop souvent éprouvé ces « épisodes d’inertie » qui m’ont effrayée. Je ne peux même plus entrer dans les épiceries – même munie d’un masque et d’oxygène – en raison de toutes ces mesures mises en place pour lutter contre la COVID: désinfectants et antiseptiques pour les mains (sans compter tous ces parfums circulant dans l’air en temps normal). Pour la première fois en cinquante ans, je dois compter sur autrui pour faire mes courses… et je DÉTESTE ÇA! Je me sens perdante, invalide… et si IMPUISSANTE. Je voudrais bien retrouver mon bien-être, mais l’hypersensibilité chimique multiple exerce une forte emprise sur mes fonctions vitales, et je resterai coincée entre les murs de mon logement comme dans une geôle, jusqu’à ce que l’on comprenne enfin que les produits chimiques synthétiques ne sont pas synonymes de propreté et d’asepsie… Autant que possible, je resterai à l’abri de toute la fumée et de toutes ces odeurs que mes voisins propagent, bien malgré moi, et qui s’infiltrent à travers mes murs.

Bien que le gouvernement Ford ait promis le 15 mai 2019 de « faire la lumière » sur les défis auxquels les ontariens sont confrontés et de bâtir un système en soins de santé centré sur le patient, qui répond aux besoins de la population de sa province, de telles promesses ne se sont toujours pas matérialisées. L’hypersensibilité chimique multiple n’est même pas abordée dans les facultés de médecine, de sorte que les médecins ignorent l’existence de ce handicap, à moins que des patients atteints par ce mal ne viennent les consulter. C’est pourquoi la plupart des ontariens n’ont aucune idée de ce que peut représenter le MCS et des problématiques que cette hypersensibilité engendre, et ils ignorent que SELON LA LOI, en vertu du code DES DROITS DE LA PERSONNE de l’Ontario, nous pouvons bénéficier des accommodements prévus en raison de notre handicap chaque fois que nous l’exigeons… dans les établissements de santé, dans nos logements, dans les milieux communautaires. Aussi longtemps que le gouvernement n’aura pas entrepris des démarches pour respecter ses promesses, la majorité des personnes atteintes de MCS en Ontario doivent faire cavalier seul et se débrouiller par elles-mêmes… une bataille à la fois.

Je suis TRÈS RECONNAISANTE d’avoir dans ma vie une équipe de deux médecins qui non seulement croient que le MCS est réel, mais qui me soutiennent EXTRÊMEMENT, et qui continuent à défendre ma santé et mon bien-être. Je sais que la plupart des patients atteints de MCS n’ont pas cette chance et qu’ils ont de la difficulté à convaincre leur médecin de famille et leurs spécialistes que leurs symptômes ne sont pas  » dans leur tête  » ! Je suis aussi TRÈS RECONNAISANTE pour l’ASEQ-EHAQ, un organisme de bienfaisance du Québec qui défend et soutient les Canadiens atteints de MCS, ET qui enseigne à quiconque veut en savoir plus sur ce handicap qui change la vie, par le biais d’ateliers, de webinaires et de fiches d’information qui offrent des solutions de rechange  » plus saines  » aux produits de tous les jours. Le monde a besoin de plus de médecins et de bénévoles comme ces personnes, qui se soucient suffisamment pour donner de leur temps, de leur énergie, de leur patience et de leur gentillesse… à des personnes qui sont souvent ignorées, rejetées et marginalisées dans leurs communautés !