Redéfinir les perspectives cliniques sur la SCM
Redéfinir les perspectives cliniques sur la SCM : vers un modèle multisystémique fondé sur des preuves. Commentaire sur Jacques, L. Sensibilité chimique multiple : une perspective clinique. Brain Sci. 2024, 14, 1261
par
Elaine Psaradellis
Association pour la santé environnementale du Québec, C.P. 364, Saint-Sauveur, QC J0R 1R0, Canada
Brain Sci. 2025, 15(7), 747 ; https://doi.org/10.3390/brainsci15070747
Soumission reçue : 23 mai 2025 / Révisée : 26 juin 2025 / Acceptée : 8 juillet 2025 / Publiée : 14 juillet 2025
L’article « Multiple Chemical Sensitivity: A Clinical Perspective » (Sensibilité chimique multiple : une perspective clinique), publié dans Brain Sciences, suggère que la sensibilité chimique multiple (SCM) est principalement un trouble psychogène, enraciné dans un traumatisme émotionnel non résolu et des réactions au stress [1]. Cependant, de nouvelles preuves scientifiques indiquent une compréhension plus complexe et multifactorielle de la SCM qui remet en question ce modèle. Si des facteurs psychologiques, tels que la stigmatisation et le poids émotionnel lié à la gestion d’une condition chronique, influencent sans aucun doute l’expérience de la SCM, il est essentiel de reconnaître que la SCM ne peut être réduite à un phénomène psychologique. De plus en plus, la SCM est reconnue comme une condition façonnée par des mécanismes environnementaux, biologiques et physiologiques. Cette compréhension plus large se reflète notamment dans les cadres internationaux, notamment la récente reconnaissance des barrières à l’accessibilité liées à la SCM dans les observations finales du Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées [2].
L’un des arguments centraux de l’article est que la SCM est un trouble psychogène, soulignant le rôle des facteurs psychologiques dans son apparition et sa manifestation. Cependant, cette emphase néglige un ensemble substantiel de preuves soutenant la base physiologique de la SCM. Des recherches récentes synthétisent les résultats d’un ensemble substantiel d’études expérimentales et observationnelles rapportant des marqueurs physiologiques objectifs, tels qu’un stress oxydatif élevé, une activation neuronale altérée et une sensibilisation des récepteurs, impliquant en particulier les récepteurs TRPV1 et TRPA1 [3]. Ces résultats suggèrent que le SCM implique des interactions physiologiques complexes. Il convient de noter que la sensibilisation des récepteurs a été identifiée comme un mécanisme physiologique clé dans la SCM. En effet, 21 études ont mis en évidence la sensibilisation des récepteurs comme un facteur important dans la physiopathologie de la SCM, renforçant ainsi l’idée que la SCM a une base biologique solide [3]. Des recherches récentes ont démontré que l’amélioration de la qualité de l’air intérieur (QAI) par la réduction des composés organiques volatils (COV) entraînait une amélioration significative des symptômes chez les personnes souffrant d’intolérance chimique, renforçant ainsi le fondement biologique de la SCM [4]. Il s’agit d’un domaine de recherche important qui continue d’évoluer et qui a des implications tant pour le diagnostic clinique que pour le traitement.
Le paysage juridique reconnaît de plus en plus la base physiologique de la SCM, y compris des mécanismes tels que la sensibilisation des récepteurs. Trois cas importants d’accommodements en milieu de travail ont établi des précédents juridiques solides, s’appuyant sur des preuves convaincantes d’exposition à des produits chimiques et de réponses biologiques. Ces décisions, étayées par des documents de cas [5,6,7], reflètent la reconnaissance croissante de la SCM comme une condition médicale enracinée dans des processus physiologiques.
L’article ne tient pas non plus suffisamment compte des nombreuses recherches établissant un lien entre le SMC et l’exposition à des facteurs environnementaux et des prédispositions génétiques. Des études cas-témoins et des études de population ont montré que certaines variantes génétiques peuvent augmenter la susceptibilité à l’intolérance chimique. Par exemple, McKeown-Eyssen et al. ont trouvé des associations significatives entre la SCM et des polymorphismes génétiques dans les gènes du métabolisme des xénobiotiques tels que CYP2D6 et NAT2, les porteurs de variants actifs de CYP2D6 et de NAT2 rapide présentant un risque 3 à 4 fois plus élevé de SCM, ce qui souligne une composante héréditaire probable de la sensibilité chimique [8]. Dans une vaste enquête menée auprès de plus de 10 000 adultes américains, Miller et al. ont constaté que les personnes présentant des scores élevés du syndrome d’activation mastocytaire (MCAS) étaient significativement plus susceptibles de répondre aux critères d’intolérance chimique, celles du quartile MCAS le plus élevé ayant plus de six fois plus de risques d’intolérance chimique que celles du quartile le plus bas, ce qui souligne le lien étroit entre l’activation immunitaire et la sensibilité chimique au niveau de la population [9]. Palmer et al. ont en outre identifié des facteurs génétiques associés à l’intolérance chimique, notamment des gènes liés à la signalisation des mastocytes, et ont montré que des expositions telles que le bisphénol A et le benzo(a)pyrène peuvent moduler l’expression des gènes, ce qui confirme un modèle d’interaction gène-environnement pour la SCM [10]. Collectivement, ces études fournissent des preuves cohérentes, issues de plusieurs populations, établissant un lien entre les facteurs génétiques et les expositions environnementales et l’intolérance chimique. Cependant, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour valider et clarifier ces interactions complexes.
Sur la base de ces preuves de plus en plus nombreuses, il est important de noter que des pays tels que l’Allemagne, le Japon et l’Espagne ont officiellement reconnu la SCM comme une condition de santé environnementale, en l’intégrant dans leurs classifications médicales avec des codes CIM-10. Cette reconnaissance souligne la nécessité d’une compréhension plus complète de la SCM, qui intègre à la fois les déclencheurs environnementaux et la susceptibilité génétique.
En outre, l’inclusion dans l’article de trois études de cas censées représenter la SCM mérite un examen plus approfondi. Deux de ces cas semblent décrire des symptômes résultant d’une intoxication au monoxyde de carbone (CO), une condition totalement distincte de la SCM, telle que définie dans la définition consensuelle de la SCM de 1999. Cette définition a été choisie car elle a démontré une forte validité discriminante, distinguant efficacement le SCM d’autres conditions dans les populations cliniques [11]. Par ailleurs, l’absence de détails concernant la sélection des cas et les procédures de documentation rend difficile l’évaluation de la force probante de ces exemples. Clarifier comment et pourquoi ces cas particuliers ont été choisis aiderait à déterminer s’ils reflètent fidèlement le tableau clinique général de la SCM ou s’ils risquent d’introduire un biais involontaire.
Compte tenu de ce qui précède, nous appelons à une approche plus large et plus fondée sur des preuves pour l’étude de la SCM, qui ne se concentre pas uniquement sur des explications psychogènes. Nous recommandons que la recherche et les publications intègrent à la fois les dimensions environnementales et physiologiques de la SCM, tout en reconnaissant les effets psychologiques résultant de la stigmatisation des personnes atteintes de cette condition. Il est essentiel que la communauté scientifique s’engage dans un cadre plus complet pour comprendre la SCM, qui inclut à la fois des études empiriques et les perspectives des personnes atteintes de cette condition.
Financement
Cette recherche a été financée par l’Association pour la santé environnementale du Québec.
Conflits
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Références
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